A bord du Pékin-Shanghai
Nous étions à la fois impatients et anxieux à l'idée de ce voyage. Treize heures de train nous attendaient. La nuit a été longue, ou plutôt elle fut courte: une petite heure de sommeil tout au plus dans mon cas.
Sans doute fallait-il un brin d'inconscience pour partir à cette époque-là. La semaine de la fête nationale (début octobre), durant laquelle les Chinois prennent d'assaut les trains pour visiter leur pays ou leur famille, était déjà passée. Mais un autre événement touchait à sa fin: l'Expo universelle. De mémoire de Pékinois, on n'avait jamais vu pareille affluence hors période de vacances.
Le train partit à l'heure: 9 heures du soir exactement. Une fois à sa place, il n'était plus question de se lever pour aller remplir sa gourde d'eau chaude par exemple. Ceux qui s'aventurèrent dans l'étroite allée encombrée de corps assis ou allongés risquaient à chaque instant l'accrochage. Les résistants de la dernière heure finirent par tomber, un sur un, dans les bras de Morphée.
Tous les wagons affichaient complets, ceux de "quatrième classe" (comme le nôtre) dépassant les bornes des limites. Toutes les couchettes (les molles comme les dures) avaient été prises d'assaut, paraît-il, par les agences de voyages. Les sièges dits "mous" connurent le même sort. Ne restaient plus dès lors que les sièges "durs" pour les dindons de la farce que nous fûmes. Et encore, nous avions la chance d'avoir une place assise! Et ce pour un prix d'ami: 179 yuans, soit à peu près 20 euros.
Au beau milieu de la nuit, le train s'arrêta. Où? Sans doute quelque part entre Pékin et Shanghai, plus près de celle-là que de celle-ci. Quelques brèves minutes passèrent. Puis le train s'ébranla de nouveau, aussi lentement et sûrement qu'il était arrivé.
Le reste de la nuit passa tout aussi lentement, le sommeil des uns faisant le bonheur (et l'envie) des autres. Quand le jour parut enfin, certains dormaient encore, la plupart s'affairaient à leur besogne. Boire sa soupe de nouilles par exemple, ou donner le biberon à son enfant.
Les dernières heures furent aussi les plus longues. Mais le plus remarquable dans cette aventure fut sans conteste le comportement des gens, serrés les uns contre et sur les autres treize heures durant sans jamais élever la voix.
L'on évoque quelquefois le flegme britannique, on pourrait parler tout aussi bien de l'impassibilité chinoise. Le voyage fut certes chaotique et bruyant, mais il y avait de l'ordre dans ce chaos. Les plus âgés n'étaient pas les moins philosophes, assis sur des sièges d'enfants. Semblable histoire semble inimaginable en Europe ou aux Etats-Unis. Une chose est sûre: elle valait la peine d'être vécue. L'erreur fut de la revivre deux jours plus tard, en sens inverse cette fois...
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